SWIM + BIKE + RUN = TRIATHLON

Pour atteindre un objectif, soit on se donne les moyens, soit on se trouve des excuses.

dimanche 26 novembre 2017

SEUL AU MONDE.



Il fait nuit noire. Le soleil n’est pas encore levé. Les dernières étoiles qui scintillent dans le ciel se répondent unes à unes dans un ballet féérique magistralement composé. Le vent est très léger et les arbres se balancent avec nonchalance. Les animaux se terrent silencieusement dans la forêt encore sombre tandis que la brume s’accroche, aux branches durcies par le froid parce que la sève est déjà redescendue depuis quelques semaines.


Il est 5h30. Dehors, il gèle.
Les yeux encore légèrement endormis, le coureur s’extirpe de sa couette. Il boit un grand verre d’eau, puis machinalement enfile un collant chaud et une veste polaire par-dessus sa tenue de sport habituelle. Un bonnet noir vissé sur la tête, il ouvre lentement la porte de la maison. Wouuuuah ! Il est 5h45, et le thermomètre affiche -3°c.
Le froid sec pince tout à coup le nez, un peu comme cette sensation d’avoir mis ses narines sur un pot de moutarde, enfin un ancien pot de moutarde, de celle de mon enfance, celle qui piquait vraiment, parce que je ne sais pas vous, mais celle de nos jours ne pique plus. Les gants ne seront pas de trop. Allez ! C’est parti !

Le coureur débute son footing en traversant quelques rues sous les lampadaires, immobiles et insouciants et qui se dressent avec courage sous de petites lueurs bleues. Il progresse lentement en évitant quelques plaques de verglas sur lesquelles ses pieds soudainement engourdis par le sol gelé perdent leurs appuis. Il déambule, tel un pantin mal vissé, en cheminant sur les derniers mètres qui le mènent à la forêt… 


La forêt, où, malgré la nuit noire et glaciale, qui sommeille sous les glaçons scintillants dans le ciel, laisse ressurgir une lueur pâle et blafarde en éclairant le sous-bois silencieux. Il fait sombre. La gelée blanche immaculée apporte néanmoins une douce lumière qui se réverbère suffisamment ; qu’il est pratiquement impossible de quitter cette petite piste, qui s’enfonce au milieu de la forêt, là, où les longs arbres maigres et décharnés, blanchis par le gel, se tiennent encore fièrement debout, par miracle, comme des soldats blessés.

A chaque pas, sous le poids du coureur à la foulée pachydermique, le sol craque et se fend. Le bruit sourd de l’écrasement des pieds sur le sol gelé résonne dans une symbiose monocorde et fastueuse. Le corps se réchauffe peu à peu.
Arrive alors cet instant où l’on ne sent plus le froid piquant et vif autre part que sur le bout du nez. Un nez rouge et engourdi, qui dépasse timidement d’un visage que l’on essaie de cacher en se renfrognant sur soi mécaniquement, comme une taupe aveugle au petit nez rosie qui cherche son chemin. De dos, le coureur, emmitouflé, ressemble à un corps noir étrange, tâtonnant sur un sol glissant avec une foulée hasardeuse qui s’entoure d’un halo de brume. 
Le corps chaud respire et recrache à travers les vêtements, les vapeurs lancinantes d’une transpiration incontrôlée. Le corps vit, le corps vibre, le corps se donne et se morfond dans un plaisir unique.

Et le coureur courageux s’imbibe de ces moments uniques, avec le sentiment profond et l’assurance prétentieuse de vivre un instant personnel et privilégié. Ce matin-là, seul survivant du matin éternel, le monde lui appartient. Là, au milieu des bois immobiles et sereins, notre athlète solitaire se sent seul au monde. Un peu comme çà, même si le paysage traversé par le coureur n'a rien à voir avec celui du dessous, mais c'est sur le sentiment de solitude qu'il faut s'appuyer. Bref, vous comprenez ce que je veux dire.


Puis, lentement, le soleil se lève. Les doux jeux de lumières, comme un immense arc en ciel qui s’étale dans le ciel, se réverbèrent sur le sol humide et immobile. Les yeux se ferment alors légèrement, éblouis, mais avides de découvrir la forêt qui se réveille sous chacun de ses pas. Le coureur est bien car désormais il n’a plus froid. Sa foulée deviendrait presque alerte et le bonheur de vivre cette course solitaire est démesurée.

Le bonheur, c’est simple comme poser le pied devant l’autre.

Cependant, il est temps de rentrer et de retrouver la civilisation.
Voilà déjà qu’on aperçoit au loin les véhicules qui serpentent mécaniquement avec leurs jeux de faisceaux de phares rectilignes, qu’on entend finalement le roulement des pneus et le craquèlement des feuilles endoloris par le gel et le poids des véhicules, qu’on distingue le bruit bourdonnant de la ville qui s’éveille, et qu’on entrevoit enfin à l’approche des premières maisons, là, à travers les carreaux des fenêtres, les toutes premières à s’allumer, les silhouettes imprécises de ces femmes et ces hommes qui se préparent à aller machinalement à leur travail.


Puis, le coureur s’approche de chez lui. 

Les lampadaires s’éteignent uns à uns, au passage de sa foulée dans un ballet précis mais non calculé. Les premiers citadins se blottissent sous un abri de bus, immobiles et droits, le regard hagard et sans vie. D’un geste machinal, ils suivent du regard le coureur qui passe sans demander son reste. En traversant la dernière rue, une voiture surgit et manque de renverser notre sportif, dont la foulée imprécise jongle non sans mal avec les bordures du trottoir.

Les derniers mètres sont consacrés à une course très lente… le coureur « fume », sous un halo de sueur bienfaitrice qui s’évapore dans les premières minutes de la journée… Et comme une mort annoncée, le footing matinal à jeun se termine, le coureur marche, son cœur ralentit progressivement, les dernières gouttes de sueurs se libèrent le long des tempes légèrement enflées et la morphine bienfaitrice de l’effort inonde magistralement l’ensemble de son corps. La tête devient si légère…

Puis tout s’arrête, en un instant : retour dans le monde de la routine.

Notre sportif arrive chez lui, tape machinalement le code pour ouvrir le portail. Il le franchit en retirant son bonnet noir humide et légèrement blanchi. Il glisse alors la clef dans la serrure de la porte et se laisse envahir par la chaleur douce et agréable de la maison encore endormie. Une douche, un bon petit déjeuner, et la journée normale commencera.

Seulement, un matin prochain, pas si loin que cela, l’espace d’un instant et d’un instant seulement, il sait que le monde lui appartiendra une autre fois encore.
Car le monde appartient tout simplement à celui qui sait le prendre.


2 commentaires :

  1. Bien belle vérification de l'adage selon lequel "le monde appartient à ceux qui se lève tôt".

    La qualité de la prose de gâchant rien à celle de la démonstration ;-)

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  2. J'ai eu le meme sentiment cette semaine en refaisant un footing matinal à 6h00. Enfin, je pensais...

    Sauf qu'à Paris, aux Buttes Chaumont, à 6h00, il y a plus de monde qu'ici dans les Ardennes à 18h00
    lol

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