Il pleut, il y a du vent et il fait
frais. Je n’ai plus l’insolente jeunesse et avec l’âge, on prend soin de soi.
Aussi, pour éviter de revenir congelé et trempé, et que je ne veux pas prendre
le risque d'une chute stupide en VELO en considérant de plus que 90% des
chauffards ne sont jamais montés sur une bicyclette, je me dis tiens, si
j’adaptais mes séances vélocipédiques. Autant courir sous la pluie ne me
dérange pas du tout, enfin quand on n'est pas blessé parce que mon ischio gauche n'aime plus courir, mais rouler sous la pluie est très désagréable.
Atteler calmement sa monture. Poser
le support pour y glisser la roue avant. Mettre ses chaussures, et d'un pas hésitant, enjamber avec plus ou moins de légèreté la
barre longitudinale du cadre. Trouver une position adéquate sur la selle, et
sans trop réfléchir, donner le premier coup de pédale. Certains connaissent
peut-être ce rituel. Oui, c’est ça, je viens de monter sur le H.T, le bien
nommé Home Trainer.
Rencontre incongrue mais nécessaire
et qui aurait été sans doute beaucoup plus facile si on l’avait appelé
« Femme Trainer » plutôt que « Home Trainer »… c’est vrai
quoi ?
Bref. Non pas que lui et moi
fussions réellement fâchés, mais par le passé nos affinités ne coïncidèrent pas
toujours. Notre différent a commencé il y a bien longtemps, lors de longues
soirées grelottantes et froides d'hiver. J’avais tournoyé un paquet de fois
autour de lui, comme un singe dans une cage, lui faisant croire que je le
sortirais de sa torpeur, et il avait tout essayé le coquin pour attirer mon
attention en brillant sous le halo du néon du garage.
Il semblait sans arrêt me dire : «
Allez, viens faire chauffer un peu l'élastogel, viens faire glisser tes pneus
slick sur mon galet que je me sustente du bruit sifflant et merveilleux,
quoique endormissant, de cette roue arrière qui tourne sans réfléchir avec tant
de légèreté.»
Dis comme çà, çà a l’air sympa non ?
Et moi, comme un automate
récalcitrant et grabataire à cet objet de torture, je l'ignorais, lui laissant espérer
quelques tours de roues. Rien qu'à l'idée aussi futile, fusse t’elle que de
faire tourner mes jambons sur cet objet de torture, j'attrapais des boutons
dignes du film d'Yves Robert, le bien nommé « La guerre des boutons. »...
J’étais passé donc une énième fois de plus à côté, évitant au maximum la
rencontre avec ses haubans en acier, et m’étais contenté d'aller courir à l'abri.
Mais, voilà, reprise d’entrainement en vue d’objectif sérieux oblige, toutes
les bonnes choses ont une fin. Puis c'est dangereux la CAP à l'intérieur.
Je me voyais obligé de le sortir de sa
léthargie, et je savais qu’il trouverait du bonheur à rejoindre la salle de
sport.
Ne pouvant reculer, comme la météo
ne travaillait finalement pas pour moi, je
ne pus, malgré une certaine condescendance, échapper à la rencontre.
Me voici donc sur le H.T. La fenêtre
grande ouverte pour ne pas trop suer, dans un refuge loin d’être ostentatoire
et miséreux, dans ma petite salle de sport, entouré de la chaleur de la
maisonnée alors que dehors c’est un déluge digne de l’arche de Noé.
J'y suis. Je ne peux plus reculer. Dans
un mouvement presque rédhibitoire, je donne finalement la mort dans l'âme le
premier coup de pédale.
L'appareil de torture, lui, semble si
heureux. Il siffle avec une jouissance inexprimable sous ma roue arrière qui
finit tant bien que mal à s'emballer pendant que je grimace comme un sportif du
dimanche qui découvre l'existence de certains muscles endormis.
La programmation de la séance, pianotée
sur mon PC, me distrait fort heureusement et, comme par magie
(ça, c'est vite dit) je me surprends à oublier quelques secondes la
complaisante délectation de mon Home Trainer, qui chante, siffle, gazouille,
bourdonne... revit ! Mes pensées vagabondent.
Pendant l’échauffement d’une dizaine
de minutes, je m’imagine au soleil le long de la vallée de l’Ouzom profitant de
la beauté du paysage de montagne, je me projette au milieu de l'hiver sibérien,
aiguisant mon mental comme un Stallone qui gravit les falaises enneigées dans
Rocky IV au son de cette musique entraînante que tout le monde connait.
Puis le corps de la séance commence.
Comme par enchantement, ma cadence de pédalage augmente sous les répétitions
des 1mn/1mn imposées, tantôt de la vélocité au-delà de 120rpm (rotations par
minute), tantôt de la puissance dans les différentes zones de travail de Z1 à Z6 (voir écran TV de la photo d'en tête d'article), tantôt la montée d'un col (l'Aspin comme ce fut la cas ce soir) m'imaginant fièrement porter le maillot à pois.
C’est là, sous la potence, pas celle
des condamnés, je parle de mon vélo là, que commence à naitre une petite flaque
de sueur, et que mes cuisses finissent par répondre aux sollicitations sauvages
de cette séance qui ne semble plus se terminer. Je souffle. J'ai mal au cul. Je sue... beaucoup...
Mais insidieusement, une idée
agréable me traverse l’esprit.
Pourquoi ne pas trouver un petit
compromis ou plutôt un petit arrangement avec moi-même ?
« Fais 30 fois 1mn/1mn... » m’étais-je
donc dit avant de commencer.
« C'est celaaa... oui ! » me
répondit alors le côté obscur, non pas de la force, mais de la raison qui veut
alléger la peine endurée….
Le compte est bon. Je m’arrêterai à 20
répétitions.
Ce compromis, synonyme de victoire
et de satisfaction, peut devenir malheureusement une pensée éphémère que l'on
regrette toujours un peu plus tard, lorsqu'on est sous la douche, et qu'on s'en
veut misérablement de ne pas avoir réalisé les 10 répétitions supplémentaires
imposées par le programme. Fichtre !
Espérons que ces répétitions volées
ne seront pas déterminantes pour la suite de la saison.
Alors qu’il reste encore en suspens
quelques répétitions qui paraissent de plus en plus longues, le Home Trainer,
lui, continue son extase, jouit véritablement d’un bonheur oublié mais retrouvé,
et ce, même s'il reçoit de lourdes gouttes de sueurs salées qui dégoulinent à
flot sur mon visage, dégringolent et finissent leurs courses délétères sur le
sol.
Mes sensations sont diffuses. Je me
sens si fort et faible à la fois. J’arrive au bout de la séance.
Et comme l'allergène à cette machine
de guerre finit toujours par l'emporter, sans crier gare et sans avertir l'objet
de torture, qui lui, jouit de plus belle sous ma roue famélique, hop hop hop, je
stoppe l'exercice, sans même l’avertir ou ralentir.... Net !
Dans un dernier vrombissement, celui
du galet qui s'essouffle (comme moi) pour mourir dans un silence contrôlé,
l'Home Trainer qui jusque-là chantait, se tût.
Au-dessus, haletant, vous l’aurez
compris, c'est un athlète transpirant, qui, dans un sourire, où se
mélangent grimace et contorsion, pose notablement, pardon lourdement, le pied à
terre avec la satisfaction du devoir quasiment accompli. (ndlr : sauf les 10
répétitions manquantes).
Quelle délectation subliminale que
d'avoir agi contre nature et affronté cet objet de torture à l'origine d'une
allergie non dissimulée.
Avec calme et sérénité, je range la
bête… jusqu'à la prochaine fois...
Je vous cache pas que le travail sur
Home Trainer est bien plus difficile que sur la route, pour ne pas dire plus violent,
surtout lorsque l’appareil simule des bosses de plus de 7%. Mais, je sais qu’il
faudra remonter sur cet objet indubitablement bénéfique à la progression
triathlètique, qui demande détermination et courage, car une fois dessus, qu’on
y monte on n’a pas le choix… il faut pédaler… pas de descente où l’on peut
arrêter de tourner les jambes, pas de feu rouge ou de stop où on peut
récupérer : non non non, il faut appuyer sur les pédales en continu.
« Veni, vidi, vici... » me surprendrais-je
à dire, comme un célèbre héros romain qui descend de son destrier à deux roues.
Cette retrouvaille avec le Home
Trainer, que j'espérais plus lointaine, a donc finalement eu lieu. Je
n'apprécie guère ce genre de séances, mais néanmoins, elles sont bénéfiques
pour garder la forme.
Quant au dénommé Home Trainer, surpris sans doute par cette spontanéité inattendue,
je suis persuadé qu'il doit dormir heureux et détendu.
Le home-trainer ; c'est comme les fameux yaourt au bifidus : "ce qu'il fait à l'intérieur, se voit* à l'extérieur".
RépondreSupprimer* se voit = se verra quand il fera beau. Mais on ne peut en vouloir à ce slogan qui a 20 ans ;-)