Il y a longtemps que je n'avais suivi la finale du Championnat du Monde IronMan à Hawaï. Sans doute parce qu'une année sur deux, cela se passe à Nice (et Nice, bof bof), probablement parce que la gangrène financière et le "business à tout prix" ajoutent un parfum d'accessibilité à cette course que j'ai toujours considérée comme une course mythique.
Rendez-vous compte. Mettre un dossard pour Kona, après une qualification très difficile à obtenir, se paie aujourd'hui 1 300 euros ! Oui ! Cela coûtait un peu plus de 500 euros il y a encore quelques temps, avant la période COVID !
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Certains anciens pensent comme moi. L'argent a tout tué. On avait autrefois des reportages photos sur avant, pendant et après la course. Aujourd'hui, c'est devenu tellement cher, inabordable. Même les sponsors deviennent frileux si vous n'avez pas un nom. C'est un peu à l'image du post de Kona2024 sur OnlineTri qui se limite aujourd'hui à une vingtaine de pages à peine, alors que dix ans en arrière, on y vivait le live avec passion et on postait à tout va !
Mais Kona reste Kona. La légende de l'IronMan. Alors !
J'y ai vécu de tels moments derrière mon écran. J'ai revu après coup des duels fantastiques entre Dave Scott et Mark Allen, j'ai le souvenir des Jurgen Zack, Mark Lieto ou Thorbjorn Sindballe qui explosaient tout le monde en vélo, je me souviens des Macca, Alexander ou encore Andreas Raelert (Andreas avait un style, une classe, un fairplay) qui avalaient les marathons comme des torpilles. "Un temps que les gars de 20 ans ne peuvent pas connaitre."
Souvenirs souvenirs.
Alors cette année bien sûr, j'attendais comme tous les passionnés de la distance Reine la consécration de Sam Laidlow qui paraissait au dessus de lot, même si un Magnus Ditlev, récent exploseur de record à Roth ou un Patrick Lange vieillissant et second à Nice aux Championnats du Monde l'an dernier pouvaient jouer les trouble fêtes ! Vieillissant, c'était vite dit. En 2011, Alexander fut champion du monde à 38 ans !
Et puis, pourquoi suivre Kona 2024 ? Parce que mon pote Adrien était de la partie en GA 50/54, remarquablement qualifié à Vichy l'an passé.
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Alors, quand le canon a lâché les 54 pros de cette édition sur Big Island, j'étais là, heureux comme un gosse que l'IronMan d'Hawaï a toujours fait rêvé.
Et c'est parti ! C'est vrai que ça ne nage pas "très beau", mais ça avance incroyablement vite. Super d'ailleurs le coup des bonnets de couleur pour repérer les athlètes. Patrick Lange, dossard 2.
Comme par hasard, notre français Sam Laidlow mène, en tête ou bien second, profitant de l'aspiration d'un poisson pilote. Les écarts ne seront pas très importants à l'issue de la Natation. Sam prit même le loisir à un moment de se retourner, nageant sur le dos, pour regarder s'il avait fait le trou ou pas. Pas vraiment en fait. C'est donc avec un écart assez faible que tout ce petit monde entrait dans l'aire de transition.
A la sortie du parc à vélos, je suis surpris de voir certains pros monter sur leurs vélos comme de bons amateurs, loin des velléités et de l'adresse des jeunes cadets que je vois sur les championnats de France Jeunes qui eux enfourchent leur vélo et mettent leurs chaussures avec une rapidité impressionnante. Non, certains montaient sur leur vélo comme d'autres montaient sur le dos d'un âne.
Et c'est parti pour les 180 kms de vélo. On se dit, que vu les écarts à la sortie de l'eau, ça va rouler ensemble... en respectant les 12 mètres.
Mais c'est sans compter sur le talent impressionnant de Sam Laidlow qui prend d'entrée la poudre d'escampette et creuse l'écart. Et quel écart ! Le garçon est seul au monde.
Derrière, ça roule fort ! Très fort ! Imaginez donc le numéro de l'homme de tête, qui lui roule tout seul.
Magnus Ditlev dira après en interview: "On est tous partis comme des balles, comme si c'était un HALF !"
Certains plient. On voit un Blummenfelt, souvent en danseuse, qui vomit malgré la remontée incroyable qu'il est en train de faire.
Patrick Lange est aussi dans le coup, mais plus "raisonnable". Il roule au tempo. Certains athlètes s'en sortent bien: le suédois Robert Kallin, le novice néerlandais Koolhass...
Le train avance. Les athlètes sont alignés les uns derrière les autres, avec aujourd'hui ce dispositif derrière la selle indiquant s'ils respectent bien les 12 mètres du drafting. Une petite lumière s'allume si ce n'est pas le cas. Lange est là, en bleu, avec son Canyon.
Pendant ce temps, le tenant du titre français ne fléchit pas. Il roule seul. Seul au monde à un rythme infernal. Le paiera-t-il plus tard ?
Le vélo se termine. Sam Laidlow boucle la partie cycliste sous les 4h.
3h57 ! Record de l'épreuve. Incroyable.
Dire qu'on trouvait déjà astronomique les 4h21 d'un Sindballe en 2008 ! Tout évolue. Les vélos sont plus performants, les athlètes mieux préparés avec des entrainements digitalisés à fond ! Est-ce que Sindballe aurait fait mieux avec tous les moyens actuels ?
C'est comme un Mickael Johnson en Athlétisme sur 200m. Presque sûr qu'il aurait explosé tout le monde s'il avait eu lui aussi des semelles en carbone et des pistes d'athlé aux revêtements de plus en plus rebondissants. Il faut évoluer avec son temps, certes, mais il faut reconnaitre que la course aux perfs pipent un peu la donne. Non ? (parenthèse refermée)
Sam Laidlow revient à l'aire de transition avec une avance confortable. Près de 6 minutes sur les suivants et 9 minutes sur les favoris que sont Ditlev, Lange...
Bonne surprise, Léon Chevalier revient au parc en 6ème position après une très belle remontée en vélo.
Quand Sam sort du parc pour entamer le marathon, il harangue la foule. On se dit alors qu'il est dans un bon jour. Cocorico ! Sam Laidlow, solide coureur, va le faire. Il va être Champion du Monde à Kona.
Mais le monstre du Marathon reste le Marathon !
"Ca se perd à la natation et ça se gagne en course à pied !!!"
Derrière les outsiders partent ! Blummenfelt file comme une balle et fait une remontée au début de la course à pied ! Le suédois revenu second au parc, Kallin, explose vite... Il voit passer le train.
Mais encore plus impressionnant, c'est Patrick Lange, l'allemand, vainqueur ici en 2017 et 2018, qui se met en mode fusée. Il part sur du 3'33'' au kilomètre ! Quelle foulée. Il n'y a rien à dire, ce type est beau à voir courir. Un exemple. Patrick Lange encourage toujours ceux qu'il double.
KM10. La montée de Palani. Sam Laidlow semble moins bien. Il court, mais pioche. Je me dis, ça monte c'est normal. Pendant ce temps, Lange est toujours aussi fluide. Foulée rasante, efficace. Une machine. Le néerlandais Koolhass et le français Chevallier sont aussi dans un good mood. Ils courent vraiment bien.
En voyant Sam aux ravitos, je me dis quand même qu'il boit beaucoup, beaucoup trop par rapport aux autres. Il n'arrête pas de boire !
Quand Lange passe sur la montée de Palani, il a l'air mieux que le français. Donc, Laidlow n'est pas bien, ça se devine.
KM14. Laidlow n'a plus de batterie. Il marche, titube presque. Il est à l'arrêt. Patrick Lange revient. Il est derrière lui puis le passe.
Super moment de respect entre deux champions !
Il lui tape sur la fesse, l'encourage... mais rien n'y fait.
Mais pour le français champion du monde en titre, ça va être le début du défilé. Magnus Ditlev, Koolhass et Léon Chevalier, puis l'américain Von Berg... et une bonne dizaine d'autres. Parce que Sam finira 18ème, exténué, bien qu'il valide la meilleure marque Vélo de la course !
Pendant ce temps, Patrick Lange ne fléchit pas, même sur Energy Lab... La machine est en route.
Léon Chevalier passe second, mais accuse le coup lorsque Magnus Ditlev le passe puis encore un peu plus tard l'américain Von Berg qui a une foulée plus aérienne.
Tous les athlètes ont chaud. Très chaud ! Certains trempent leur tête dans la glace et d'autres remplissent leurs trifonctions de glaçons. Hawaï, c'est terrible : humidité et chaleur et aussi mentalement, car il faut les aligner les longues lignes droites qui font mal ! Et c'est jamais plat !
Patrick Lange va gagner. Le record de l'épreuve est même à sa portée. Il va le faire. Ca descend quand on approche de l'arrivée et il sait qu'il est dans un bon jour. Les GA qui entament le marathon l'encouragent.
Le champion du Monde 2024 exulte sur la ligne d'arrivée.
Il a une énergie comme jamais je ne l'ai vu sur Hawaï. Incroyable !
Il dira que c'était la course parfaite ! Il signe le meilleur chrono de l'histoire à Kona en 7h35 ! C'est énorme !
Derrière, les autres concurrents arriveront, mais exténués.
Je suis heureux de retrouver un nom du passé dans le top 10. Cameron Wurf (41 ans) termine 7ème, après un très beau marathon ! Respect !
Magnus Ditlev et Rudy Von Berg complètent le podium ! La médaille en chocolat revient à Léon Chevalier, notre français qui signe sa meilleure marque sur les championnats du Monde.
Et là, je me souviens qu'à l'époque, nous étions fiers d'un Patrick Vernay 6ème ou d'un Cyril Viennot 5ème...
Désormais, on peut compter sur les frenchies.
Laidlow : 18ème - Blummenfelt : 35ème.
Ces marrants, ces deux-là ont tellement donné à vélo ! Trop ?
Le classement est le suivant :
Est ce qu'un Vélo un peu "en dedans" aurait permis à Sam de gagner ? Peut-être. Comme quoi, le Triathlon c'est bien 4 sports ! Natation, Vélo, CAP et Alimentation.
Et donner un peu trop dans une discipline peut jouer sur les autres ?
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Voilà, il est 2h15. Je me couche. Non sans jeter un oeil sur l'appli IronMan pour savoir où est Adrien.
Il vient de terminer le vélo et sort de l'aire de transition. Son chrono est moyen, il a dû souffrir ou alors pas de sensation.
Je lui souhaite un bon marathon via Whatsapp. Il le verra quand il aura plié l'affaire.
Au final, il fera un joli marathon !
Et une place honorable pour son 4ème Kona !!!! Bravo Machine !